Styles de BD: Les Africains ne savent-ils pas dessiner? (1/3)

Nous sommes nombreux à aimer lire des Bandes dessinées. Nous sommes beaucoup moins nombreux à en faire notre métier. Encore plus, quand on est Africain. Considérée comme le berceau de l’humanité, l’Afrique est sans doute aussi le berceau des arts. Mais force est de constater qu’en matière de Neuvième art, le continent peine à faire exister un art qui lui est propre. Parlant d’une identité propre, nous faisons référence ici à un “Style” de BD que le monde entier pourrait rattacher à l’Afrique après un seul coup d’œil.
Ceci étant un sujet fortement polémique (amateurs et professionnels y laissent quotidiennement des organes), commençons par clarifier la question de “Style” dans la BD.
La question du “style” de BD
La bande dessinée est un art narratif, graphique et séquentiel. Narratif, car il se doit de raconter une histoire; séquentiel pour signifier la juxtaposition d’images (d’ailleurs, pour être qualifiée de Bande dessinée, il faut une juxtaposition d’au moins trois images); Et enfin, Graphique car c’est un processus de conception visuelle et de mise en scène d’une création artistique.
On entend par style graphique le résultat d’un regard presque scientifique, qui met à distance l’objet du dessin dans une logique d’individualisation ou de spécialisation par le biais des codes idéographiques (Facile à comprendre non?). Pour être plus clair, la définition d’un style de BD vient de la codification de telle sorte qu’on peut ressortir des caractéristiques communes à plusieurs œuvres d’auteurs différents.
En effet, la question du style des BD tient une grande importance dans l’univers du 9e Art, dans la mesure où les bandes dessinées présentent des caractéristiques différentes dans les diverses grandes aires culturelles (même si nous pensons qu’il ne faut pas réduire la comparaison à cela, un japonais pouvant faire du comics ou de la BD de style franco-belge, et inversement).
Accordons nous donc pour dire que plusieurs facteurs encouragent l’essor des différents styles de BD. Voyons donc concrètement quels sont ces styles dominants?
L’origine des “grands styles” de BD
Ces dernières années, la BD a connu une évolution considérable. Forcément, cela concerne ceux qui sont reconnus comme les trois principaux formats internationaux que sont: le style comics (associé à l’Amérique du Nord), le manga (associé au Japon) et le style franco-belge (associé à l’Europe), qui font bouger le secteur du neuvième art à travers le monde.
Dans un souci de meilleure catégorisation on va donc s’en tenir à cette globalisation (que de rimes pardi!). Comme l’a relevé Jean-Paul Gabilliet in BD, mangas et comics : différences et influences: “Au début du xxie siècle, la bande dessinée s’incarne en trois grandes traditions nationales : franco-belge, américaine, japonaise.”
Diabolik (Il giallo a fumetti) -623- QuattroCopyright HAG ?2007 Gentside Gaming
A l’aube de la seconde guerre les comics books américains dominent le marché de la BD mondiale. Ils désignent habituellement les BD de super héros venant d’Amérique du Nord.
La BD Franco-Belge désigne la BD francophone à la base publiée par des éditeurs français et belges mais désigne aujourd’hui globalement les styles et contextes éditoriaux communs aux BD d’Europe francophone. Elle prend vraiment forme après la deuxième guerre mondiale quand les BD françaises et belges vont entrer dans le marché pour concurrencer les comics américains; et devenir indissociables en raison de leurs contextes artistique et commerciale similaires.
Et enfin, le Manga, qui prend sa sources dans la peinture narrative du XIXe siècle. C’est au cours du XXe S, grâce à Osamu Tezuka que le manga devient très populaire et va s’exporter dans le monde entier.
Les raisons de la prédominance des grands styles de BD
La prédominance de ces styles de BD est sans doute due à leur ancienneté, qui leur a ainsi permis de se répandre à travers le monde. Mais pas seulement, car l’impérialisme et le renouveau culturel y tiennent un rôle important.
En effet, en occupant certains territoires, les nations impérialistes ont importés avec eux, leur cultures. De fait, les colonisés et autres peuples sous occupation ont fini par adopter les moyens d’expression culturelles des peuples dominants. Il ne s’agit pas seulement de domination culturelle par l’occupation physique. La culture américaine par exemple, est reconnue comme étant la plus répandue dans le monde, et ce dès la fin de la deuxième guerre mondiale, ce que l’on pourrait expliquer par leur rôle de dans la reconstruction après guerre. Cela s’est donc traduit par l’extension de leur modèle économique mais aussi culturel, avec les comics et leurs super héros.
Le renouveau culturel peut également être pris en compte. Nous entendons ici le fait pour une génération de chercher à découvrir autre chose quand elle a été bercé dans un style particulier. C’est sans doute le cas des jeunes générations en particulier occidentales, qui s’intéressent de plus en plus au Manga par exemple.
Cependant, la bande dessinée africaine n’est pas en reste. Elle aussi connait une expansion notable ; Les divers festivals et initiatives liés au 9e Art se multiplient à travers le continent tels que : les festivals de BD d’Alger, de Casablanca, le Mboa BD du Cameroun, le bilili BD du Congo, le Lagos-comic con et l’exposition numérique afropolitan comics entre autres, et leur grand nombre de visiteurs dénotent de l’intérêt des Africains pour la BD.
Mais alors, quel nom peut-on attribuer à la BD d’origine africaine et afro-descendante ? Peut-on même parler de style Africain de la BD ? Peut-on faire ressortir des similitudes graphiques susceptibles de ranger les BD d’origine africaine et afro-descendante dans un genre comme les comics et autres ?
Pour éclaircir les zones d’ombres liées à ces questions, commençons présenter brièvement l’évolution de la bande dessinée en Afrique, de ses origines à nos jours.
L’évolution de la BD en Afrique
Comme nous l’avons mentionné plus haut, quand on parle de l’histoire de la bande dessinée, il est commun de se focaliser sur ce qu’on nous présente généralement comme les trois principaux pôles de la création artistique de la bande dessinée: L’Europe qui aurait vu sa création, les États-Unis qui l’aurait popularisé et l’Asie qui est reconnu comme le plus grand producteur actuel de bandes dessinées actuel.
Pourtant, une théorie fait remonter la Bande dessinée à plus loin encore historiquement et sous d’autres cieux que ceux suscités. Elle fait remonter la création de la bande dessinée en Afrique. Ainsi, au IVe millénaire avant notre ère, apparaît en Égypte un système d’écriture, les hiéroglyphes (Eh oui, les hiéroglyphes c’est de la BD… Et soyons sérieux nous n’accepterons de contradictions que venant d’égyptologues!).

La BD Africaine avant les indépendances.
À partir des années 1920, d’autres périodiques ont vu le jour au Congo belge. Mais à cette époque, la bande dessinée est surtout utilisée dans les publicités et slogans des journaux et revues locales.
En 1932, Au Cameroun, Ibrahim Njoya, sujet et homonyme du célèbre roi, choisit de raconter la Mémoire du royaume Bamoun en adaptant les contes: Mofuka et le lion, La Grenouille et le Milan dans une combinaison tout à fait moderne de dessins et de textes. Il peut donc être considéré comme le premier auteur de BD du Cameroun !!

On peut très clairement voir sur ces images qu’il raconte l’origine lointaine du peuple Bamoun à travers des représentations historiques.
Cependant, c’est dans les années 1950 que la BD Africaine connait son premier véritable essor. En effet, les premières histoires qui n’incluaient pas de publicité parurent en 1951.
Du côté de l’Afrique anglophone, la naissance des premiers strips destinés aux Africains remonte au milieu des années cinquante au Nigeria avec Joseph’s holiday adventure paru dans le Daily Times.
La BD Africaine après les indépendances.
Après les indépendances, et surtout dans le courant des années 80, la BD Africaine va connaitre un autre essor lié à la presse et sa libéralisation à travers le continent. Ces années se caractérisent par la prolifération de revues et par l’édition des premiers albums commerciaux.
Au Cameroun, Les premières bandes dessinées modernes à être publiées le furent dans des journaux, notamment Cameroun Tribune, le quotidien national, et La Gazette, où des dessinateurs tels que Tita’a et Kiti exercèrent dans la caricature ou le dessin de presse, tout en faisant paraître, de temps en temps, un strip ou une planche de bande dessinée.

Thomas Durand Kiti, caricaturiste autodidacte, lance les aventures de l’inspecteur Sam Monfang dans l’hebdomadaire national La Gazette considéré comme l’ancêtre de la presse privée écrite au Cameroun. Les aventures de cet intrépide policier se sont déclinées sous la forme de strips de quelques cases. Il s’agit du premier héros BD de l’histoire camerounaise.

Malgré cet essor, la BD demeure intrinsèquement rattachées à la presse et durant cette période, les caricaturistes prennent une importance grandissante dans les journaux et commencent à éditer leurs premiers recueils, comme le Malgache Elisé Ranarivelo. Au Cameroun, La seconde vague du dessin de presse au Cameroun est plus connue, et le ton est plus libre. Le seul album publié à cette époque est La Fabuleuse Histoire du football camerounais de Samuel Mbappe-Leppe édité par CEPER en 1990. La BD Africaine reste donc très liée au dessin de presse et à la caricature avec des Gaby, Abou, Achille Nzoda, Bess, El Pacho, Almo, Jaimes ou encore le célèbre Nyemb Popoli. Le style cru de cette dernière lance une nouvelle ère mis en exergue avec “Le popoli”, premier journal satirique camerounais avec sa devise « Rira bien qui lira le premier » où la majorité des pages est composée de strips ou de bandes dessinées. Son tirage atteint une dizaine de milliers d’exemplaires.
En parallèle, les bédéistes s’unissent, structurent leurs efforts et mettent en commun leur savoir-faire pour donner des fruits comme c’est le cas de la revue Gbich en Côte d’Ivoire.
Les années 2000 et les nouveaux horizons de la BD Africaine.
Au Cameroun, L’association Trait Noir regroupe les dessinateurs comme Elyon’s (Joëlle Ebongué), Almo ou Bibi benzo qui veulent sortir du dessin de presse pour donner vie à la BD proprement dite. Une partie de l’équipe de Trait noir participe à un encart spécial de 24 pages sur la BD camerounaise (intitulé Zamzam hebdo) dans le numéro 3565 du journal français Spirou du 9 août.
Il y’a également le Collectif A3 qui publie le célèbre magazine Bitchakala dont le premier numéro du magazine paraît en avril 2010. Tiré à 2 000 exemplaires et qui compte actuellement cinq numéros.

Au Nigeria, les années deux mille voient l’émergence d’une véritable industrie de la bande dessinée avec des tirages de plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires d’un genre très tourné vers le modèle anglo-saxon (couverture souple, papiers en noir et blanc, phénomène de la série à épisodes) qui rencontre l’assentiment du public.
L’avènement de Supa Strikas en 2001 a emmené la bande dessinée nigériane a un autre niveau.

Enfin, La dernière décennie a produit un bon nombre d’entreprises et de créateurs de bandes dessinées Africain très créatifs.
Et par conséquent, nous sommes à une époque où les créateurs de Bandes dessinées atteignent leur cœur imaginatif en dévoilant les histoires captivantes, fascinantes et étonnantes d’Afrique. Maiiiis certains qui reconnaissent quand même le talent des bédéistes africains, ne leur reconnaissent pas une identité propre.
D’après eux, les bédéistes africains sont trop influencés par tous les genres qui viennent d’ailleurs. Est-ce vrai ?
Découvrez cela dans le prochain article. (A suivre).
En attendant l’article à venir, Faites vous une idée des styles graphiques des BD Africaines avec de la bonne BD made in Africa.
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